Adamant: Hardest metal
Thursday, January 30, 2003

DÉFENDRE LA DÉMOCRATIE C’EST DÉFENDRE LA LIBERTÉ ET LES DROITS DE L’HOMME

Réponse des universitaires vénézuéliens à leurs collègues espagnols.

Le journal El País, vient de publier dans son édition de Madrid, le 23 décembre 2002, un manifeste signé par 64 membres – professeurs et chercheurs – de plusieurs universités espagnoles, soutenant le régime du président de la république du Venezuela: Hugo Chávez. Le principal argument avancé dans cette proclamation «en faveur de la légalité démocratique», s’appuie sur la légitimité du pouvoir de celui qui a été élu en deux occasions: 1998 et 2000.

Nous sommes sincèrement reconnaissants à nos collègues de leur préoccupation pour la crise qui sévit dans notre pays, ainsi que de leur remarquable générosité en assumant les frais de la publication à page entière de leur document. Nous comprenons également que, l’éloignement des évènements, la manipulation maladroite de certains stéréotypes due à certains médias internationaux, ajoutée à la coûteuse campagne de «désinformation» menée à bout par notre gouvernement, aient pu les induire en erreur au point de les amener à soutenir ce qu’ils croient être un gouvernement véritablement démocratique qui agit honnêtement en faveur des intérêts du peuple vénézuélien. Par contre, nous, les membres de diverses universités vénézuéliennes, qui connaissons et subissons les effets de cette malheureuse conjoncture, nous ne pouvons pas manquer de vous répondre dans le but de mettre au clair notre position face à l’opinion publique internationale.

C’est vrai: Chávez est arrivé au pouvoir en 1998, par le moyen des votes, bien qu’ils furent accompagnés par une importante abstention, abstention qui s’est accrue au moment de sa réélection, en 2000. Malgré la valeur accordée dans le contexte national et international à “la légitimité d’origine”, cette légitimité, à elle seule, suffit-elle à garantir “la légitimité d’exercice”? Cette légitimité d’origine ne peut-elle pas aller en se rétrécissant, naturellement, jusqu’à sa disparition sous l’effet des abus de pouvoir et de la violation des droits de l’homme? Hitler, Mussolini ou Fujimori avaient été élus, eux aussi, ce qui ne les a pas empêchés d’attenter contre le système, à partir du propre système et avec les propres armes du système. Il y a quatre ans, nous vénézuéliens, avons voté pour élire un président démocrate, pas un autocrate qui a violé, en plus de cent occasions, – dûment documentées et dénoncées par les juristes de notre pays – la Constitution qu’il prétend défendre; qui s’entête à vouloir imposer une pseudo- «révolution» qui n’existe que dans le volontarisme personnaliste et dans la rhétorique officielle; qui a bruyamment échoué en tant que gestionnaire, puisque sous son gouvernement le pays sombre dans l’ anarchie totale, et qui a, cependant, le toupet d’affirmer qu’il gouvernera jusqu’en 2021.

Dès le début de son mandat, le régime de Chávez a mis en œuvre l’abattement des institutions. Ses attaques et incursions contre l’armée, les partis politiques, les organisations syndicales et patronales, l’ Église, les universités, les polices locales, la marine marchande etc. sont manifestes. S’il est vrai que les «chavistes» ont gagné la majorité parlementaire et un bon nombre de gouvernements régionaux, il n’en est pas moins vrai qu’ils ont violé la loi de manière ostensible et récurrente afin d’imposer leur hégémonie sur le Pouvoir Judiciaire, le Pouvoir Moral (Défense et Accusation publiques et Contrôle de l’Administration publique) et le Pouvoir Electoral. Ce séquestre des pouvoirs publics est aujourd’hui évident, et se traduit par la désignation de fonctionnaires – beaucoup d’entre eux choisi parmi les militaires qui prirent part au coup d’Etat de 1992 – sélectionnés en fonction de leur loyauté inconditionnelle envers le président, plutôt que sur leur compétence et leur efficience ou des mérites prouvés dans l’exercice de leurs fonctions. C’est justement ce mépris de la «carrière professionnelle» des fonctionnaires qui a déclenché le conflit avec la compagnie pétrolière de l’Etat, PDVSA, composante importante, aujourd’hui du «paro cívico nacional».

Le abus de pouvoir de Chavez est extensif à la radio-télévision de l’Etat, transformée en un simple instrument publicitaire des faits et gestes du président et de son programme. Ce média de l’Etat est mis à sa disposition toutes les semaines pour transmettre ses interminables «cadenas» qu’il impose simultanément à tous les mass-media du pays, pour diffuser sur un ton paternaliste, pittoresque et agressif, ses allocutions émaillées d’insultes, d’admonitions et de bravades. Ce sont justement ces abus médiatiques qui ont poussé les médias privés à adopter une position politique que d’aucuns jugent exagérée et d’autres indispensable. C’est dommage que les rares leaders européens de l’opinion, imbus de la notion romantique de la révolution latino-américaine, qui, de leur confortable lointain, appuient la cause «chaviste», oublient toujours de faire référence à ce détail.

Le «chavisme», foncièrement totalitaire, ne tolère pas la dissidence. Il considère ses adversaires politiques comme des ennemis et il les affronte avec violence. Bon nombre de ces groupements, erronément appelés «Círculos Bolivarianos», que la population appelle «cercles de la terreur», sont des brigades mercenaires, entraînées et armées par le régime et guidées par certains des dirigeants les plus connus du gouvernement. Parmi leurs exploits les plus retentissants on compte l’assassinat des dix-neuf manifestants non-armés du 11 avril, dont la vidéo de Luis Fernández, (Prix du Roi d’Espagne au Journalisme, en 2002), rend compte, alors que les discours officiels attribuaient aux auteurs de ces crimes la qualité de «héros de la révolution». Le 10 décembre, un massacre à Altamira a produit trois morts, dont un très estimé collègue universitaire., à part la vingtaine de blessés. Arrêté in fraganti, le meurtrier avoua son crime, mais le Président de la République s’est chargé de le défendre publiquement au même moment où on enterrait ses victimes… Ce 3 janvier, nous avons encore dû ajouter deux morts de plus a ce douloureux record sanguinaire.

Les «cercles de la violence» ont toujours traqué les mass-média, certains d’ entre eux ayant subi des attaques à main armée, suivies de la destruction de leurs équipements et de dommages à leurs installations. Les agressions contre les journalistes et leurs caméramans dépassent les deux-cents cas. Certains d’entre eux ont sauvé leur vie grâce au port du gilet blindé qui fait maintenant partie de l’équipement des reporteurs; précaution que, malheureusement, le photographe Jorge Solorzano n’avait pas prise , le 11 avril , quand il fut assassiné. Ajoutons à cela les violations de domicile, les arrestations illégales, le séquestre et la torture subis par la militante de l’opposition Estrella Castellanos et, plus récemment, par les officiers de la marine, en plus des menaces devenues habituelles contre les leaders de l’opposition, etc. Il s’avère presque superflu de dire que le régime a systématiquement posé des obstacles aux investigations judiciaires concernant ces cas, de même qu’il a entravé l’instauration d’une «Commission de la Vérité» intégrée par des personnalités indépendantes sur le travail desquelles aurait droit de regard une commission internationale.

Malgré l’immense popularité des premiers temps de ce gouvernement et nonobstant la recette des revenus fiscaux les plus importants que l’histoire de ce pays ait jamais connus (49 milliards de dollars proviennent exclusivement de l’industrie du pétrole),Chávez a échoué sur le plan politique, sur le plan économique et sur le plan social. Il avait promis d’en finir avec la pauvreté, et il ne peut même pas montrer une mesure au bénéfice des pauvres; en effet, il a même éliminé les programmes sociaux qui existaient pour les remplacer par des dons circonstanciels qu’il octroie en contrepartie de la loyauté politique. Le chômage croissant, l’augmentation des impôts et la dévaluation de la monnaie assènent des coups à la classe moyenne. L’éducation, la santé, la sécurité sociale, l’alimentation et le transport, déjà déficients auparavant, ont encore sensiblement empiré. Il avait promis la décentralisation, et il a instauré un système de clientèle pervers, selon lequel seuls les maires et les gouverneurs régionaux soumis reçoivent les revenus nécessaires à l’administration de leurs régions. Une des promesses électorales les plus réitératives fut celle de combattre la corruption; cela fait longtemps qu’on n’en entend plus parler, car son gouvernement, dans la plus grande impudence, a battu tous les records antérieurs: des flots d’argent sont dévoyés vers les comptes bancaires de ses collaborateurs les plus proches et sont utilisés à l’achat d’armes et de consciences. Le plus grave pêché de ce gouverneur néfaste est sans doute sa pédagogie de la haine, du ressentiment et de l’affrontement social. Mais sur ce point aussi il a échoué, car, aujourd’hui, la grande majorité des vénézuéliens – voire ses propres sympathisants – nous misons sur la réconciliation, la coopération et la paix.

Il nous faudra longtemps pour réparer les effets de cette hécatombe, mais nous y parviendrons. Notre première démarche en ce sens exige la récupération du fonctionnement correct de nos institutions. C’est pourquoi, plus de deux millions de vénézuéliens, nous avons rempli tous les préceptes constitutionnels pour demander la convocation d’ un référendum qui consulte nos concitoyens sur la permanence de Chavez au pouvoir. Nous sommes également dans la meilleure disposition d’adhérer à toutes les démarches prévues dans la Constitution, y compris, entre autres, l’article 70. Les imposantes manifestations populaires et les prises de position manifestées par tous les secteurs de la vie nationale, y compris les universitaires et les intellectuels, ont force de jugement quotidien contre les excès du gouvernement. Les militaires qui ont légitimement récusé l’autorité du chef du gouvernement, l’ont fait sans armes, accompagnant les civils dans leurs protestations et se réclamant de l’article 350 de la Constitution, qui consacre la «désobéissance civile». Cette situation n’a aucun point en commun avec les coups d’ Etat des militaires qui prétendent s’imposer par la force des armes, comme ce fut le cas, en février 1992, quand Hugo Chávez se souleva contre un gouvernement élu démocratiquement. Ceux qui réclamons, aujourd’hui, une solution électorale à la crise politique, nous ne sommes ni «des groupes d’intérêts», ni des organisations politiques déplacées du pouvoir, comme votre manifeste l’affirme; pas plus, d’ailleurs que nous ne sommes «putschistes», ni «saboteurs», ni «fascistes» comme aiment l’affirmer sans cesse autant Chávez que ses acolytes. Absurde est le moins qu’on puisse dire de l’appellation de «putschistes» pour ceux qui demandent des élections et de «démocrates» pour ceux qui essayent par tous les moyens d’empêcher qu’elles aient lieu!

De sorte que, chers collègues, nous désavouons le document que vous avez soussigné et nous vous prions de réfléchir en conscience. Ne soyez pas dupes. Chávez n’est qu’un autocrate camouflé sous la toison de la constitutionalité. Sa rhétorique révolutionnaire, aux feintes réclamations de justice sociale, dissimule, en réalité, une dictature maladroite et avide de pouvoir. Tel que l’affichent tous les jours d’abondants témoignages graphiques, son adversaire est constitué par une société de citoyens pleins de noblesse, issue de toutes les classes sociales, chaque jour plus consciente, combattive et solidaire, à laquelle nous sommes fiers d’ appartenir.

Caracas, 13 janvier 2003

Publié dans le journal El País de Madrid, jeudi 23 janvier 2003-01-28

La publication de cette proclamation a été financée à travers la contribution individuelle des signataires

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