Venezuela: la crise survit à la grève
www.liberation.fr Pro et anti-Chavez se rejettent la responsabilité de la situation économique.
Par Jean-Hebert ARMENGAUD samedi 08 février 2003
epuis une semaine, la vie quotidienne a repris normalement son cours à Caracas. Restaurants et centres commerciaux ont rouvert. Les banques, qui n'ouvraient leurs guichets que trois heures par jour, sont revenues à des horaires normaux. L'opposition a en effet renoncé, lundi, à poursuivre le mouvement de grève «politique» lancé le 2 décembre pour forcer à la démission le président Hugo Chavez, l'ex-lieutenant-colonel des parachutistes élu en 1998. Ses méthodes de plus en plus autoritaires ont déclenché depuis plusieurs mois une vague de contestation, notamment des classes moyennes (Libération du 31 janvier).
Officiellement, la grève s'arrête parce que les tentatives de médiation internationale entre le gouvernement et l'opposition donnent de vagues signes de progrès. Officieusement, depuis quelques semaines, l'opposition, réunie autour de la confédération patronale Fedecamaras, de la Centrale des travailleurs du Venezuela et de la Coordination démocratique ú qui rassemble une vingtaine de partis de droite comme de gauche, et diverses organisations civiles ú, cachait mal ses divisions sur la poursuite ou non de cette grève. «Le 2 décembre, une bonne partie de l'opposition pensait mettre Chavez à terre en une semaine, une idée totalement utopique. Aujourd'hui, on se retrouve avec un pays en faillite», explique Teodoro Petkoff, fondateur du parti MAS (Mouvement au socialisme), aujourd'hui directeur du quotidien TalCual.
Bataille des chiffres. Dans un pays déjà en crise, la grève aurait provoqué, selon certains économistes, la perte de 200 000 emplois et causé la faillite de près de 20 000 PME. La chute du PIB atteindrait 10 % ú elle atteignait déjà 7 % avant le 2 décembre. La monnaie nationale, le Bolivar, a perdu près de 30 % de sa valeur en deux mois. Les réserves en devises s'épuisent : Hugo Chavez a d'ailleurs restauré, jeudi, le contrôle des changes. Et sur ce tas de ruines, chaque camp s'épuise à rejeter la responsabilité sur l'autre. «Le gouvernement, en ne voulant rien céder, a montré qu'il se foutait de la destruction de notre économie», estime Vladimiro Mujica, de la Coordination démocratique. Hugo Chavez a de nouveau traité les grévistes de «terroristes» et de «fascistes» : «Ils ont été vaincus par le peuple (...), il n'y a pas de négociations avec les traîtres, les conspirateurs, les putschistes et les saboteurs.»
Malgré la fin de la grève, la crise politique est plus aiguë que jamais. D'abord parce que le mouvement se poursuit dans l'industrie pétrolière, la plus importante du pays. Petroleos de Venezuela (PDVSA), l'entreprise publique nationale ú 50 % des recettes de l'Etat ú, est toujours semi-paralysée. Parmi les grévistes, 5 000 employés ont été licenciés, et Hugo Chavez a tenté de «militariser» la production, tout en ayant recours à des retraités et des spécialistes étrangers.
La bataille des chiffres continue : le gouvernement affirme que la production atteint 1,8 million de barils/jour. Les grévistes assurent qu'elle ne dépasse pas 1,3 million de barils/jour. En temps normal, le Venezuela, cinquième exportateur mondial, produit plus de 3 millions de barils/jour.
Nouveau front. Par ailleurs, Hugo Chavez a ouvert un nouveau «front» dans sa «révolution bolivarienne». Dans sa ligne de mire : les quatre chaînes de télévision privées du pays qui ont pris fait et cause pour l'opposition. Durant la grève, elles ont renoncé à tout spot publicitaire pour diffuser en lieu et place des annonces de soutien à la Coordination démocratique et aux manifestations. RCTV, Globovision, Televen et Venevision (propriété du magnat Gustavo Cisneros qui possède notamment, à travers Hughes Electronics, le bouquet satellite Directv, soit 300 canaux dans 28 pays) sont désormais sous le coup d'une «procédure d'enquête administrative» qui pourrait leur coûter une suspension, voire une suppression, de leur licence.
Le gouvernement doit également présenter, mardi, à l'Assemblée ú où il ne dispose plus que d'une courte majorité depuis que Chavez y a perdu de nombreux soutiens politiques ú un projet de loi de «responsabilité sociale de la radio et de la télévision», dont le seul intitulé fait frémir et qui pourrait prévoir des sanctions en cas «d'atteinte à la dignité du Président». Sur le mot d'ordre de la liberté d'expression, l'opposition a réuni des centaines de milliers de personnes, il y a une semaine, dans les rues de Caracas.
Efforts diplomatiques. Grève ou pas, les positions semblent donc toujours irréconciliables. Aux efforts diplomatiques infructueux que mène depuis octobre le secrétaire général de l'OEA (Organisation des Etats américains), le Colombien César Gaviria, sont venus s'ajouter ceux de l'ex-président américain Jimmy Carter. Le récent prix Nobel de la paix a proposé, le 21 janvier, deux scénarios de sortie de crise. Soit un amendement constitutionnel qui ramènerait le mandat présidentiel de 6 à 4 ans, qui devrait être approuvé par un référendum, le 19 août, qui renverrait en même temps Chavez devant les urnes. Soit un référendum, à la même date, qui révoquerait directement le mandat du président.
Dimanche dernier, l'opposition affirme avoir rassemblé quatre millions de signatures, soit un tiers de l'électorat, en faveur de ces deux propositions, mais Hugo Chavez s'est refusé à donner suite, en tout cas d'évoquer la moindre date. «Comme tous ceux qui se croient désignés par une force divine pour réécrire l'Histoire, Hugo Chavez a refusé de voir l'impact de ces signatures», écrit Teodoro Petkoff dans TalCual.
Autre tentative diplomatique : celle du Groupe des amis du Venezuela qui réunit, à l'initiative du président brésilien Lula da Silva, le Brésil, les Etats-Unis, le Chili, le Mexique, l'Espagne et le Portugal. Une première rencontre a eu lieu entre Hugo Chavez et des diplomates du Groupe. Selon le quotidien brésilien Folha de Sao Paulo, certains de ces derniers en seraient ressortis déjà «fatigués de l'arrogance de Chavez».