Adamant: Hardest metal
Monday, April 14, 2003

Grandes et petites manœuvres autour du pétrole irakien

LE MONDE | 24.03.03 | 13h34

Selon cheikh Yamani, ancien ministre saoudien, l'objectif des Etats-Unis est de "privatiser les puits irakiens" à leur profit. Ce sentiment est partagé par de nombreux opérateurs, dont les compagnies non américaines, qui redoutent d'être écartées de la reconstruction.

Scénario rose ou scénario noir ? Les opérateurs du marché pétroliers hésitaient encore, lundi matin 24 mars, sur la conduite à tenir quant à la guerre en Irak et tentaient d'évaluer ses conséquences sur la conjoncture mondiale en général et sur le marché pétrolier en particulier.

A la veille du week-end, l'euphorie prédominait. La direction et la rapidité prises par les opérations militaires, aux premiers jours de l'offensive, étaient sans ambiguïté : elles visaient à protéger en priorité le potentiel pétrolier irakien. Du coup, les Bourses étaient à la hausse et les cours du brut à la baisse, les risques d'une pénurie de pétrole s'éloignant.

"La prime de guerre s'est ou est en train de s'évaporer, résumait sobrement Peter Gignoux, directeur du département pétrolier à la banque Schroder Salomon Smith Barney (SSSB), cité par l'Agence France Presse (AFP). La guerre est jusqu'à présent un grand succès, du point de vue du pétrole, car les puits irakiens sont quasiment intacts". Les événements du week-end, où l'armée anglo-américaine a semblé avoir plus de difficultés que prévu, ont refroidi l'optimisme, même si nul ne cède à la panique.

Les prix du baril de brut, après avoir effacé quatre mois de hausse en huit jours, pour retomber à leurs niveaux de la mi-novembre (entre 24 dollars pour le brent et 27 dollars pour le light sweet crude américain), se sont repris, lundi matin. A 10 heures, lundi, le brent reprenait 3,28 %, à 25,21 dollars. Mais cela ne change pas fondamentalement les opinions à plus long terme, personne n'envisageant que la coalition puisse perdre la guerre, ni même s'y enliser durablement.

De plus, les pays membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) se déclarent tous prêts à pallier l'absence, même prolongée, de l'Irak sur le marché mondial. L'Iran s'est employé à souffler le chaud et le froid sur son vieil ennemi et sur le marché. "Les tensions et la guerre de propagande étaient à l'origine de la hausse des prix. Après la guerre et à l'approche de l'été, le prix du baril du pétrole va descendre à 18 ou 19 dollars", a prédit, samedi, le vice-ministre du pétrole et patron de la Compagnie nationale iranienne de pétrole (NIOC) Mehdi Mir-Moezi. Et de rappeler que "l'Iran produit actuellement 3,6 millions de barils de pétrole par jour mais a une capacité de production de 4,2 millions de barils par jours, qui pourrait être utilisée en cas de besoin".

CADRE JURIDIQUE

Autre membre éminent de l'OPEP, le Venezuela a condamné "sans équivoque la guerre et l'offensive", par la voix de son vice-président José Vicente Rangel. Mais dans le même temps, celui-ci a souligné que son pays, qui produit actuellement plus de 3 millions ed barils par jour, a, malgré la longue grève qui a affecté le pays en décembre et janvier, "la capacité de produire 4 millions de barils par jour". Façon de souligner qu'il peut, lui-aussi, pallier la défaillance momentanée de l'Irak.

En même temps que le potentiel industriel du pays, il va falloir reconstruire totalement le cadre juridique international permettant l'exploitation et l'exportation de son pétrole. A cet égard, soulignent les spécialistes, l'ONU doit rester incontournable.

Selon la revue londonienne Energy Intelligence Group, en 2001, le ministère irakien des pétroles avait promulgué un plan décennal visant à doubler la production, par le truchement de l'exploitation de nouveaux gisements, confiée à des compagnies étrangères. Ce plan pourrait servir de base au développement du secteur pétrolier, quel que soit le nouveau régime.

Les multinationales d'origine britannique BP et Shell ont eu des contacts réguliers avec le gouvernement de Londres pour qu'il les aide à obtenir des contrats d'exploitation des réserves, après la guerre. "L'Irak est un producteur important, il doit décider par lui-même, quel que soit le régime, de l'avenir de son patrimoine", a déclaré à la veille du déclenchement des hostilités, John Browne, le patron de BP, un proche de Tony Blair.

Les compagnies pétrolières américaines comme britanniques sont favorables au production sharing agreement (PSA), contrat de partage de la production entre un pays et une ou plusieurs compagnies pétrolières. Certaines factions de l'opposition irakienne préfèrent la solution de la prestation de services, qui permet de conserver l'entière souveraineté sur les richesses énergétiques. De l'avis général, le délabrement des infrastructures pétrolières va fortement limiter la marge de manœuvre des futurs dirigeants irakiens.

Au sein de l'opposition irakienne, les majors américaines sont très proches d'Ahmed Chalabi, l'un des principaux opposants, proche du vice-président Dick Cheney. En revanche, les compagnies britanniques ont choyé l'ex-banquier Charif Ali ben Hussein, chef de file des royalistes basé à Londres. Interrogé par Le Monde, un porte-parole du Congrès national irakien (CNI), principale organisation des opposants, se déclare favorable au maintien des PSA. Dans une récente interview, cheikh Yamani, ancien ministre saoudien du pétrole, a dénoncé les arrière-pensées de la politique américaine : "L'objectif des Etats-Unis est clair : privatiser les puits irakiens".

Pascal Galinier et Marc Roche (à Londres)

Des troubles au Nigeria

De jeunes militants de l'ethnie Ijaw ont menacé, dimanche 23 mars, de faire sauter les installations pétrolières dans le delta du Niger, dans le sud-est du Nigeria. Les luttes tribales, auxquelles l'armée tente de mettre fin, ont entraîné une réduction de 29 % de la production pétrolière nigériane. Le groupe pétrolier américain ChevronTexaco a décidé, dimanche, d'arrêter ses opérations dans la région. L'anglo-néerlandais Royal Dutch Shell et le français TotalFinaElf ont pris cette même décision dès samedi.

Le delta du Niger, qui représente l'essentiel de la production de brut du Nigeria, est depuis plusieurs années le théâtre d'affrontements entre les différents groupes ethniques, qui se disputent les fruits de l'or noir. Ces violences auraient déjà provoqué une centaine de morts.

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