L'OPEP redoute que l'Irak serve de "cheval de Troie" aux Etats-Unis
LE MONDE | 24.03.03 | 13h34 • MIS A JOUR LE 24.03.03 | 14h19
Le cartel des pays producteurs affronte une crise de légitimité et pourrait se voir imposer des réformes libérales par Washington, via Bagdad.
Vienne de notre correspondante
C'est à Bagdad que l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est née, en septembre 1960. Est-ce à Bagdad que sera signé son arrêt de mort, avec le paraphe du président George W. Bush ? La mise sous tutelle de l'Irak par les Etats-Unis, à l'issue de la guerre, est ressentie, au sein du cartel, comme une menace existentielle.
Samedi 22 mars, le vice-président du Venezuela, Jose Vicente Rangel, a comparé l'intervention américano-britannique à un "cheval de Troie, ou plutôt à un "char" de Troie", introduit au cœur de la forteresse pétrolière.
Malgré tout ce qui les distingue, les onze pays de l'OPEP (Algérie, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Indonésie, Irak, Iran, Koweït, Libye, Nigeria, Qatar et Venezuela) considèrent que le pétrole n'est pas une marchandise comme les autres, la légitimité des équipes qui les gouvernent étant fondée presque exclusivement sur leur capacité à redistribuer la rente pétrolière.
Tous sont dotés d'une législation qui limite, dans des proportions variables, l'accès des firmes étrangères à ce secteur très lucratif. Le basculement du domino irakien pourrait accélérer des réformes libérales qui sont déjà débattues en Algérie, et à peine esquissées en Arabie saoudite, pays dont la suprématie en tant que premier producteur mondial et principal fournisseur des Etats-Unis paraît mise en cause.
"UNE INFRACTION"
Pour couper court à tout risque de pénurie, le royaume wahhabite a pompé ces dernières semaines jusqu'à 9,4 millions de barils par jour, soit près de 90 % de son potentiel de production. Cela a été interprété comme un feu vert à l'offensive américaine, et a agacé d'autres membres de l'OPEP. Vendredi, le ministère iranien du pétrole rappelait que toute augmentation de la production par des membres de l'OPEP, sans réunion préalable du cartel, serait "une infraction".
Certes, Roger Diwan, directeur de Petroleum Finance Company Energy, basé à Washington, estime que la production irakienne restera inférieure à 3 millions de barils par jour jusqu'en 2005, et qu'une "administration civile intérimaire", selon le terme consacré dans les plans américains, ne saurait prendre, à brève échéance, la décision de sortir de l'OPEP.
Mais le cartel devra vivre désormais avec cette perspective, l'opération "freedom Irak" étant conçue, par les "faucons" de Washington, comme le laboratoire des changements radicaux qu'ils veulent encourager dans tout le Proche-Orient.
Souhaité par l'administration Bush, en guise d'antidote à la récession, l'effondrement actuel des prix traduit aussi l'impuissance de l'OPEP à contrôler un marché où elle ne se pose plus en acteur politique, mais en alliée loyale des grands pays consommateurs – d'où sa décision de faire sauter, dès les premières heures de l'attaque contre l'Irak, la barrière symbolique des quotas.
Le directeur de la revue Petrostrategies, Pierre Terzian, se dit choqué de ce "tropisme pro-occidental" qui fait peu de cas des besoins des pays producteurs, et met le cartel à la merci de la moindre secousse.
L'année 2003 s'annonce difficile pour l'OPEP. Elle a commencé avec l'affrontement, au Venezuela, entre le président Hugo Chavez et une opposition soutenue par Washington, au cours de la longue grève du secteur pétrolier. Ce conflit pourrait rebondir lors du référendum prévu cet été. Elle se poursuit avec la guerre en Irak, mais aussi par des troubles dans le sud du Nigeria où, sur fond de campagne présidentielle, des minorités ethniques revendiquent une part substantielle de la rente pétrolière, contestant que les gisements offshore, les plus prometteurs, soient exclus du système de redistribution au profit des multinationales. Venezuela, Irak, Nigeria : trois pays-clés dans la stratégie de diversification énergétique des Etats-Unis, et dont la défection serait fatale au cartel.
Joëlle Stolz